• L'enfant bleu (4/10)

    Le tour du cadran:

    L'enfant qu'on nous remit était léger comme une plume , et nous le portâmes jusqu'à la voiture avec d'infinies précautions . Claire le prit sur ses genoux et lui fredonna des chansons , mais il dormit pendant tout le trajet , n'ouvrant un oeil que pour pousser un cri faible et plaintif.

     

    C'est en changeant ses couches que nous pûmes l'examiner longuement pour la première fois . Il était en piteux état : sa peau , d'une teinte fortement violacée , était chaude et moite ; le peu de chair qu'il avait n'adhérait pas à l'os et pendait lamentablement de ses membres , l'aîne par où l'on avait introduit le cathéter , était bleue et noire , et l'incision béante de la cheville suintait légèrement ( il n'y avait pas de suppuration , mais les deux lèvres bleues de la plaie refusaient tout simplepent de se refermer)

     

    La tête paraissait énorme sur le cou maigre , impression qu'accentuait encore le crâne chauve . Entre les yeux et les tempes apparaissaient des taches bleues , et la bouche , grande et pulpeuse , présentait une réplique monstrueuse de l'entaille de la cheville avec ses lèvres  couleur d'airelles noires . Le regard était inquiet , presque angoissé. (peut-être à cause des souffrances endurées lors des deux cathétérismes cardiaques et des innombrables piqûres et incisions ) .

     

    Je mis mes doigts dans ses menottes moites , m'attendant à sentir la forte pression instinctive des nouveaux-nés , mais elles restèrent molles . Je lui chatouillai les paumes , et ses mains senrefermèrent légèrement tandis que ses yeux semblaient se fixer sur moi . Bien que presque imperceptible , c'était une de ces  réactions personnelles que nous allions toujours trouver chez Nick par la suite et qui renforceraient chaque jour notre serment de ne jamais renoncer .

     

    Lors des six mois qui suivirent , nous connûmes les contraintes habituelles résultant de l'arrivée d'un nouveau-né au foyer , mais en pire . Il fallait à Nick une alimentation spéciale et il prenait fréquemment un médicament dérivé de la digitaline pour son coeur.

     

    Nous devions le nourrir à peu près toutes les heures , jour et nuit , car il n'absorbait à chaque fois que deux ou trois cuillerées à soupe de bouillie et en vomissait la moitié un quart d'heure plus tard.

     

    Souvent en le voyant vomir avec de pénibles contractions , je me disais qu'il n'était pas possible qu'il résiste longtemps . Mais il tenait le coup et , chaque fois , il répondait à nos embrassades par des mouvements de tendresse minuscules mais perceptibles .

     

    Sans en avoir jamais parlé , Claire et moi avions pris l'habitude de nous soutenir mutuellement , ce qui nous rendait la vie non seulement supportable mais même , assez curieusement , agréable. Nous arrivions à nous passer de sommeil avec une facilité qui me stupéfie lorsque j'y pense aujourd'hui . Avec deux enfants en bas âge dont il fallait s'occuper , la maison à tenir et mon travail , nous n'avions plus le temps de parler , ni même de penser , jamais nous ne montions à l'étage ou n'en descendions sans porter quelque chose (du linge à laver, un plateau du petit déjeuner) afin de nous épargner un voyage supplémentaire .

     

     


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