• Un bidonville pour royaume

                           

    Soeur Emmanuelle a tout abandonné pour les parias du Caire .

    soeur Emmanuelle

     Soeur Emmanuelle est née Madeleine Cinquin le 16 novembre 1908 à bruxelles . Elle est morte le 20 octobre 2008 à Callian (var) . Elle fut souvent surnomée la petite soeur des chiffonniers

            Chaque matin , au lever du soleil , une haute et mince silhouette traverse d'un pas alerte l'un des faubourg surpeuplés du Caire, descend la colline en se faufilant à travers des monceaux d'ordures et monte dans un autocar bondé pour se rendre à la chapelle des jésuites , en pleine ville ; la messe terminée , elle retourne vers ce que beaucoup tiennent pour l'endroit le plus hideux de toute l'Egypte : la colline des Zabbaline .  

            Ces éboueurs-chiffoniers vivent là par milliers , entassés à douze et plus dans des baraques sans fenêtres faites avec des bidons de pétrole , des cartons d'embalage , de vieux tapis , des boîtes de conserves et, en guise de toits , des branches de palmier  séchées . Le tout , groupé en plein désert sur une immense butte de détritus qu'entourent des tas d'immondices pourrissant au soleil est englué de crasse et de puanteur .  

            Là, des centaines d'hommes et d'enfants se lèvent à trois hures du matin , attellent leurs bouricots à des charettes dans lesquelles ils partent ramasser les ordures ménagères de la capitale . De retour vers midi, ils déchargent et inspectent minutieusement leur butin pour récupérer tout ce qu'ils pourront vendre, réparer, voire utiliser eux-mêmes ou donner à manger à leurs bêtes ; ce qui reste achève de pourrir , ou se consume lentement .    

    Mes frères et soeurs .

    Dès que la mince silhouette atteint le bidonville , des enfants , pieds nus , escaladent les tas d'ordures et de débris de verre pour venir lui dire bonjour en s'accrochant à ses jupes et à ses bras . <<Ezzayak? (comment ça va ?) >> leur demande t'elle avec un large sourire , en en prenant cinq ou six dans les bras . Des femmes sortent sur le pas de leur porte et la saluent en l'appelant Ableti (grande soeur) . Elle leur répond dans un arabe très correct , s'adressant à chacune par son nom , demandant des nouvelles de leurs familles . Elle a un mot de cosolation pour les malades et salue les réussites d'un chaleureux <<bravo>>.

            Le rayon du soleil qui illumine cet univers sordide a pour nom soeur Emmanuelle . Imposante et dynamique , cette religieuse française de soixante-quatorze ans , qui se consacre depuis douze ans à ceux qu'elle appelle affectueusement mes frères et mes soeurs , a des yeux gris très doux et ponctue souvent ses propos d'un enthousiasme yalla ! (allons ! La vie est merveilleuse) . Récemment , je l'ai emmenée en voiture au Caire , à midi , heure où la circulation est intense . Tout à coup  elle m'a demandé de m 'arrêter , puis a sauté à terre , foncé entre quatre files de véhicules , enjambé une clôture et franchi un quai de gare ... enfin elle est revenue haletante pour m'apprendre indignée , qu'un important colis destiné à ses chiffoniers n'était pas encore arrivé . <<Je déteste les décevoir! >> s'est-elle exclamée.  

            Les zabbaline ne sont pas les plus pauvres des Cairotes , mais ce sont de vrais parias . <<Les enfants ne reçoivent aucune instruction parce que les parents ne les laissent pas aller dans les écoles situées hors de leur bidonville , m'a dit frère Boulad , directeur du collège catholique de La Salle et ami de longue date de soeur Emmanuelle . Personne n'approche ces malheureux , personne ne leur parle .>>

            Sauf soeur Emmanuelle . <<dès son arrivée , ajoute frère Boulad , elle s'est interressée à eux de tout son coeur . Un chiffonnier m'a dit un jour : c'est la première fois que quelqu'un comme ça m'a salué .>>  

             Soeur Emmanuelle se dévoue corps et âme aux zabbaline depuis le jour où en 1971, l'archevêque Mgr Bruno Heim , alors pro-nonce apostolique au Caire , lui proposa de visiter avec lui le lieu où demeurait le jeune éboueur de son quartier , près du village d'Erzbet el Nakhl.  

            <<c'est un désert plein d'immondices , raconta-t-elle à l'époque ; nous avançons dans des ruelles jonchées de pelures d'oranges ; les cochons n'en veulent pas . Ici où là , une bête crevée . Partout , l'odeur infecte des ordures en décomposition . Et au milieu de toutes ces immondices , des enfants , corps bronzés et têtes crépues . Ca fait mal . Un petit a ramassé une tomate aux trois quart pourrie . Non, non ,ne la mange pas ! Sa mère rit : Oh ! il est habitué . Elle serre dans ses bras un bébé couvert de mouches . On ne peut laisser dans cet abandon des petits hommes ... C'est décidé, j'embarque .>>   

            Alors , à soixante-deux ans , elle obtint de son ordre " Notre Dame de Sion " et des autorités locales stupéfaites la permission d'aller s'installer dans le bidonville . Logeant dans une cabane infestée de cafards et de rats , ,elle se nourrit comme les zabbaline de haricots , de pain de fromage et de fruits gâtés . Elle n'a accepté qu'un seul privilège : une toilette privée , qui n'est d'ailleurs qu'une baraque branlante au-dessus d'un trou creusé dans le sol .  

            Ses premiers jours , elle les passa à visiter chaque cabane , prenant le thé assise par terre avec les femmes , jouant avec les enfants . Gagner la confiance  des zabbaline n'était pas facile . Musulmans , certains étaient convaincus que soeur Emmanuelle chercherait à les détourner de leur foi ; d'une façon générale , ils se méfiaient des étrangers , surtout des occidentaux .<<Leur hostilité était si forte au début , dit Mgr Heim ,,que c'est tout juste s'ils n'ont pas lapidé la pauvre soeur Emmanuelle .>>  

            Mais elle de commenter : <<les obstacles doivent nous inciter à poursuivre nos efforts . C'est ce que j'ai fait.>>

    Dieu avec nous .

    Apparemment , rien dans sa vie antérieure ne la préparait à affronter de telles difficultés . Née à Bruxelles en 1908 dans une famille française aisée , Madeleina Cinquin , semblait promise à une vie facile . Mais à douze ans , la lecture d'un livre de prix traitant des missions en Afrique décide de sa vocation . << dès ce moment , explique-t-elle , je résolus de me faire missionnaire . >> A vingt ans , elle entra dans l'ordre de Notre -Dame de Sion et prit le nom de Sœur Emmanuelle (dieu avec nous)

            La jeune religieuse commença sa carrière en enseignant dans des écoles françaises en Turquie  et en Tunisie . Après avoir obtenu des diplômes de philosophie , de grec et de latin à Bruxelles , Istanbul et Paris , elle est envoyée en 1965 à Alexandrie comme professeur dans un collège des dames de Sion . Mais c'était les enfants des riches , et non ceux des pauvres , qui fréquentaient les établissements religieux , constata-t-elle . De plus en plus déçue , elle demanda à Mgr Heim de l'aider à remplir son apostolat , et il lui fit visiter le bidonville de zabbaline ...  

            les premières semaines se révélèrent pénibles , car sœur Emmanuelle se heurtait à un mur de suspicion et d'hostilité . Puis un soir ,en regagnant sa cabane , elle s'aperçut que son broc  d'eau était vide et que la pompe située à l'extérieur était en panne . Il faisait nuit noire et tout le monde dormait . Mais une voisine qui l'avait entendue essayer vainement d'amorcer la pompe vint lui offrir une cruche pleine d'eau .<< J'ai été bouleversée , dit sœur Emmanuelle . Cette femme m'a donné tout ce qu'elle avait ,jusqu'à la dernière goutte .>>  

            Cette acte de bonté marqua un changement complet dans l'attitude des éboueurs . Les femmes saluaient plus cordialement la religieuse et lui offraient de la nourriture . Sœur Emmanuelle ne perdit pas de temps . Avec l'aide de ses voisines elle balaya une cabane inoccupée où elle installa une douzaines de bancs et quelques tables qu'elle avait fabriqués avec de vieilles caisses . Ayant obtenu une petite subvention de l'organisation catholique Caritas , elle acheta des crayons , de la craie , du papier , et eut la joie d'accueillir dans cette école toute neuve une dizaine de petits élèves . L'un des hommes écrivit sur la porte en gros caractères arabes Allah Mahaba (dieu est amour ), et au-dessus il traça une croix et un croissant entrelacés . <<Cela symbolise tout ce que nous faisons ici ! >> dit sœur Emmanuelle  

            Et bientôt , plus de 50 enfants se pressèrent chaque matin à l'école . Caritas offrit à chacun d'eux un sarrau de coton et un cartable de toile . <<J'étais ravie de voir ces petits parfaitement propres cinq heures par jour >> dit sœur Emmanuelle .  

            Tout aussi important , les parents , de plus en plus fiers de leurs enfants , étaient de moins en moins hostiles à ce qui venait de l'extérieur ; ils autorisaient maintenant leurs rejetons à poursuivre leurs << études >> à l'école primaire du village voisin  

            Ensuite , sœur Emmanuelle s'occupa des femmes . Une fois le jardin d'enfants terminé , à 13 h , elle ouvrit la salle de classe à toutes celles qui désiraient apprendre à coudre , à tricoter , à faire du crochet . Après quelques hésitations , 70 femmes se mirent à fréquenter régulièrement ces cours de pratiques . Certaines apprirent même à se servir d'une machine à coudre , don d'un ami suisse , et acceptèrent des <<commandes >> extérieures qui leur donnèrent de précieuses ressources financières , et développèrent en elles le sentiment de leur dignité .  

            En fin de journée , la petite salle de classe était encore disponible quelques heures . Aussi sœur Emmanuelle lança-t-elle un cours d'alphabétisation pour adultes . Au début , personne ne vint . Après une longue journée de travail , les éboueurs préféraient boire et risquer leur argent au jeu . Mais elle persévéra . Finalement quelques élèves se présentèrent , puis d'autres , et bientôt elle en eut tant , et si doués , qu'elle dut engager un instituteur . Le 28 octobre 1977 , qu'elle considère comme l'un des plus beaux jours de sa vie , Kamal Khairallah , remis des certificats de langue arabe à 36 éboueurs . Grâce à ce précieux document , nombre de ces diplômés trouvèrent des emplois au Caire . Depuis , bien d'autres ont suivi l'exemple . 

    Aide-toi .

    Une part de la stratégie qu'emploie sœur Emmanuelle pour stimuler l'amour-propre des zabbaline consiste à accroître leur sens des responsabilités . Ainsi , le jour où une jeune femme vint lui demander de prier pour son bébé atteint de déshydratation , elle lui répondit :<< Je prierai pour ton enfant , mais il faut aussi que tu l'emmènes chez le docteur .>> Comme le dit son ami Michael Tobin , un diplomate britannique alors en poste au Caire , << son vrai message était ; <<aide-toi , le ciel t'aidera >>. Avec le temps ses protégés l'ont de mieux en mieux compris .

            La religieuse ne pouvait pas grand-chose pour améliorer l'état sordide des lieux , car elle ne disposait d'aucun crédit ; mais elle était résolue à <<tirer les enfants de ce milieu infect au moins une semaine par an >>. En 1973, elle sollicita et obtint du représentant au Caire du programme de développement des Nations Unis une subvention de 800 livres égyptiennes . Dès cette somme reçue , elle acheta un minibus et emmena pendant dix jours , 30 de ses meilleurs élèves dans un camp de vacances au bord de la mer , à Alexandrie .  

            <<Quand ils virent la mer pour la première fois , ce fut un délire >>, raconte-elle . Grâce aux contributions d'amis étrangers et au dévouement de Georges Zaki , un ancien chauffeur de taxi qui abandonna son métier pour devenir le conducteur à plein temps des zabbaline , ceux-ci "enfants et adultes " bénéficient maintenant d'excursions plusieurs fois par an .  

            Le succès de ces séjours au bord de la mer incita sœur Emmanuelle à envisager la création d'un centre de vacances communautaire hors du bidonville , afin que les éboueurs-chiffonniers <<puissent échapper à l'influence dégradante du milieu >>. En 1975, elle fit appel à Mgr Athanasios , évêque copte orthodoxe de Béni Souef n ville située au sud du Caire . Le prélat accepta la présidence de ce centre et lui offrit la collaboration de cinq religieuses de sa communauté . Un groupe de militants enthousiastes "catholiques, coptes et musulmans" s'attachèrent à la réalisation de ce projet qualifié par Mgr Athanasios de <<vraiment œcuménique >>.  

            Les secours vinrent également de l'étranger . Depuis plusieurs années , sœur Emmanuelle adressait à 2 000 amis un bulletin intitulé <<Lettre du Caire >>., vivant comptes rendus de son existence parmi las zabbaline . Comme les demandes de renseignements relatifs au centre se multipliaient , elle décida de répondre personnellement à chacun de ses correspondants .  

            En 1976 , elle entreprit ses premières campagnes d'appels de fonds , des tournées de conférences en Europe , voire aux Etats-Unis et au Canada . Les dons affluèrent , et elle ne tarda pas à disposer du million de dollars nécessaire pour entreprendre les travaux .  

            Elle entama aussitôt des négociations avec les autorités locales pour l'achat d'un terrain de 1 hectare situé à 500 mètres du bidonville , et le 29 mars 1980 Mme Sadate inaugura le premier édifice terminé , un jardin d'enfants à un étage . Baptisé Centre Salam (centre de la paix ) Le projet est maintenant achevé . Ses six immeubles de ciment sont utiles au bidonville comme aux villages voisins . Le dispensaire traite environ 300 personnes par semaine . Un cabinet dentaire fonctionne depuis 1982, ,et une maternité s'ouvrira dans un proche avenir . Un autre immeuble abrite des classes d'alphabétisation , de couture et de travaux d'aiguilles , fréquentées quotidiennement par une centaine de jeunes filles . D'autre part ,,un centre de formation donne à une cinquantaine de garçons la possibilité d'apprendre à devenir plombiers, soudeurs , plâtriers et charpentiers . Un foyer pour mères célibataires vient aussi d'ouvrir ses portes .  

            En décembre 1981, sœur Emmanuelle fut atteinte d'une broncho-pneumonie . Ses amis craignirent qu'elle soit obligée de ralentir ses activités . Aujourd'hui , pleinement rétablie , elle travaille , à nouveau jusqu'à seize heures par jour . Elle a confié la direction du Centre Salam à sœur Sara , de l'église copte orthodoxe , et, bien qu'elle y retourne souvent pour voir ses amis , elle vit et œuvre maintenant dans un autre bidonville de chiffonniers , situé au de la falaise du Mokattam . Son unique désir est de rester en contact étroit avec ceux qu'elle appelle ses frères et sœurs . << Car ,,dit-elle , c'est en les aimant que je vis.>> (source : Reader's Digest de  1983 ,Texte de Deborah Cowley . Photo Rachad El koussi)


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