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Le père des groupes sanguins :(2/2)
Cette mystérieuse allergie
. En 1919, Vienne sombra dans les chaos à la suite de la défaite .Les communistes menaçaient de prendre le pouvoir. On tiraillait sans cesse dans les rues et l'inflation battait son plein .Landsteiner avait besoin d’une valise pour rapporter chez lui son salaire ,mais c'était à peine suffisant pour acheter une miche de pain Il devait faire 5 km à pied pour se procurer un peu de lait de chèvre pour son fils âgé de deux ans.
Une nuit ,la clôture qui entourait sa maisonnette disparut , emporté par quelqu'un qui avait besoin de bois de chauffage .Et pour comble ,il n'y avait plus de fourniture de laboratoire ,plus d'animaux d'expérience .Il devenait presque impossible de travailler .
Sur ces entrefaites ,un hôpital de Hollande lui proposa un travail de laboratoire courant ,analyses d'urines et de sang .Autant demander à Einstein d'enseigner la table de multiplication .Mais Landsteiner accepta.
Il était ,à ce moment-là ,absorbé par les recherches les plus importantes de sa vie :l'étude de la réaction antigène-anticorps . la chose est moins compliquée qu'on ne pourrait le croire .
Les antigènes sont, en général des protéines ;quand ces protéines << étrangères >> pénètrent dans l'organisme ,celui-ci répond par la production d'anticorps spécifiques pour les combattre .
C'est ainsi que ,lorsqu'on inocule un peu de vaccin antivariolique (antigène) dans la peau du bras ,l'organisme vacciné réagit en produisant des anticorps qui le protégeront de la variole pendant des années .Ou bien ,si l'on est sensibilisé au pollen (antigène) de certaines graminées, il suffit d'en inhaler un peu pour avoir le nez qui coule et les yeux larmoyants ,car l'allergie ,elle aussi, n'est que la manifestation d'une réaction antigène-anticorps .
Ce qui paraissait le plus remarquable à Landsteiner ,c'était l'extraordinaire <<spécificité>> de toutes ces réactions .Il semblait exister un anticorps particulier pour chaque antigène .
Ses travaux allaient aboutir plus tard à l'explication de toute cette mystérieuse affaire de l'immunité et de l'allergie ,et son livre , la spécificité des réactions sérologiques allait devenir la bible d'une nouvelle science , l'immunochimie .
<<Les empreintes digitales>> du sang .
Lorsqu' 'en 1922 ,on lui offrit la direction d'un laboratoire personnel de recherches à l'institut Rockefeller , Landsteiner s'embarqua pour New-York ,son rêve se réalisait :il trouvait là tout ce dont il avait besoin pour revenir à ses premiers amours, l'étude du sang .
Il était sûr que le sang comprenait bien d'autres choses que ces substances A et B .En fait ,il était persuadé qu'à la longue on découvrirait à chaque sang presque autant d'individualité qu'aux empreintes digitales .
Avec l'aide d'un jeune assistant fort doué, le Dr Philip Levine , il se mit à rechercher de nouveaux facteurs.
Coup sur coup ,ils en découvrirent trois nouveaux M,N et P ,Ils n'avaient pas ,dans les transfusions l'importance capitale des facteurs A et B ;ils ne provoquent en effet que rarement des réactions .
Cependant ,ils devaient jouer un rôle important en médecine légale pour l'identification des taches de sang ou pour les recherches de non-paternité .
Entre 1935 et 1940 ,dans un laboratoire de la direction des examens médicaux , je travaillais sur des échantillons de sang de singes d'espèces diverses :atèles , brachytèles ,macaques ,rhésus, cercopithèques .
Je demandais à Landsteiner de m'aider et ce fut le début de notre collaboration .
En 1937 ,nous commençâmes à injecter du sang de singes rhésus à des lapins , puis nous prîmes du sang de ces lapins pour voir comment leur sérum réagissait avec les globules rouges humains .
Dans 85% des cas ,ce sérum agglutinait les globules rouges humains !
Cela signifiait que les singes rhésus avaient en commun avec l'homme un nouveau facteur sanguin .Nous le baptisâmes RH ,du nom du singe rhésus.
Le facteur RH allait se révéler aussi important dans les transfusions que les facteurs A et B ?
Le Dr Raymond Peters m’avait écrit de Baltimore pour me signaler qu’il avait rencontré de graves réactions transfusionnelles dans le cas de sangs compatibles selon les quatre groupes classiques .
S’agissait-il d’une incompatibilité RH ?. C’était bien le cas , comme je devais le découvrir.
Peu après Levine Et le Dr Lyman Burnham se trouvèrent placés devant un cas curieux , à Newark (new Jersey). Une femme avait mis au monde un enfant mort d’une mystérieuse affection , l’érythroblastose .
Malade elle-même , elle avait alors été transfusée avec le sang de son mari et avait failli en mourir, bien que les sangs fussent apparemment compatibles.
Levine se demandait si le père n’avait pas transmis à l’enfant quelque facteur sanguin qui faisait que le sang de l’enfant et celui de la mère se combattaient l’un et l’autre , ce qui avait amené la mort de l’enfant .
La violente réaction de la mère au sang de son mari le donnait à penser.
Cette hypothèse se révéla exacte. Le responsable , c’était le facteur RH.
La route était à présent ouverte pour vaincre cette incompatibilité sanguine , jusque-là mortelle.
A présent , la recherche du facteur RH se fait chaque année sur des millions de malades et de donneurs de sang.
Le prix Nobel
Landsteiner était salué par tous comme un génie . Sous ses dehors bourrus , c’était un timide ,un homme tout entier consacré à son travail.
En 1930 , le standard téléphonique de l’institution fut assailli d’appels émanant des journaux . On apprenait que le prix Nobel de médecine venait d’être décerné à Landsteiner pour son œuvre sur les groupes sanguins .Il refusa de répondre et poursuivit son travail.
En rentrant chez lui , ce soir-là , il n’en fit même pas mention à sa famille. Finalement , un télégramme arriva de Stockholm.
- Je viens d’avoir le prix Nobel dit il à sa femme, Hélène.
Puis il se replongea dans ses journaux scientifiques.
Presque toujours, il travaillait après le diner. Pendant dix ans , j’ai passé avec lui la soirée du mercredi.
Une fois la table de la salle à manger débarrassée, il s’y asseyait et, tout en croquant une pomme, s‘entretenait avec moi des recherches en cours ou écrivait des articles.
A soixante-quinze ans , Landsteiner suivait encore son rigoureux emploi du temps. Il était devant la paillasse de son laboratoire , le matin du 24 juin 1943 quand il fut terrassé par une violente crise cardiaque .
Il survécut deux jours dans les souffrances , se tourmentant pour son livre, exigeant de ses assistants qu’ils poursuivent les expériences en cours. Puis sa vie l’abandonna.
Il repose, selon ses vœux , dans un petit cimetière de L’Ile de Nantucket . Sa tombe discrète ,balayée par la brise de mer, est un paisible havre de repos pour ce chercheur génial donc l’œuvre a profité à presque tous les êtres humains actuellement vivants.
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