• La découverte de l'insuline (2/2)

    Le Pr John Macleod, chef du service de physiologie , à qui nous devions d'avoir pu entreprendre nos travaux dans ces conditions , était en vacances en Europe . Nous décidâmes qu'il ne s' apercevrait de rien si nous continuions .

        Nous reprîmes nos opérations sur les chiens et effectuâmes correctement , cette fois nos  ligatures des canaux .Le 27 juillet , nous obtînmes le pancréas ratatiné et dégénéré que nous désirions . Si la substance X existait , ce pancréas devait le contenir.  

        Nous coupâmes ce pancréas en tranches dans un mortier réfrigéré contenant la solution de Ringer , et nous fîmes congeler le tout . Puis nous laissâmes le mélange dégeler doucement et , après l'avoir broyé , nous le filtrâmes à travers un buvard .Un chien diabétique moribond nous attendait , trop faible pour soulever la tête ,  Fred  lui injecta dans une veine 5 centimètres cubes de filtrat . Le chien eut l'air d'aller un peu mieux, mais il est facile de s'illusionner en pareils moments. Des analyses de sang étaient indispensable.  

        Je tirai quelques gouttes de sang de la patte de la bête et commençai mon dosage de sucre sanguin . Basting restait penché par-dessus mon épaule . S'il  y avait beaucoup de sucre , le réactif du tube à essais devait devenir rouge foncé; s'il y en avait peu , il devait être rose pâle. Je faisais une analyse toutes les heures , et le réactif devenait de plus en plus pâle . Le taux du sucre sanguin s'abaissait , passant de 2 grammes par litre à 1,20 gramme et parvenait à la normale , 0,90 grammes ! Ce moment-là demeure le plus inoubliable de mon existence.  

        Dès lors , nous fûmes débordés de travail et notre vie devint un cauchemar. il fallait faire des piqures aux chiens, leur prélever du sang pour les analyses , recueillir leurs urines. Cela nous occupait vingt-quatre heures sur vingt-quatre . Nous dormions quand nous avions un moment , allongés sur les bancs du laboratoire .  

            Mais nous avions sous les yeux un miracle constamment renouvelé: Les chiens à l'agonie , l'œil vitreux , se transformaient , quelques heures plus tard , en bêtes solides qui remuaient la queue en mangeant une pâtée . Ainsi ranimé, l'un de nos chiens survécut douze jours, un autre vingt-deux jours .  

        Notre favorite , c'était  Marjorie , la chienne n°33 , noir et blanc , ressemblant à un colley , elle avait appris à sauter sur un banc , à tendre la patte pour nous laisser prendre du sang et à rester tranquille pendant qu'on lui faisait l'injection dont sa vie dépendait . Elle vécut soixante-dix jours en bonne santé , tant que notre provision d'isletine ne fut pas épuisée . (par la suite Macleod nous conseilla de changer le nom en celui d'insuline) .

    Il nous fallait à peu près toute l'isletine que nous parvenions à extraire d'un pancréas dégénéré pour faire survivre un chien pendant une journée.

        Comment parviendrions-nous à garder en vie des millions de diabétiques ?  

            Fred se rappela avoir lu que le pancréas des embryions d'animaux était constitué  en majeure partie de cellules insulaires , puisque les sucs digestifs étaient inutiles avant la naissance .  

        Elevé à la campagne , il savait aussi que les fermiers envoient des vaches pleines à l'abattoir , car elles pèsent évidemment plus lourd .  

         Les pancréas des embryions de veaux avaient des chances d'être riches en isletine . Nous mîmes donc en route notre <<Pancréas>> , pour faire un tour aux abattoirs .

        Plus tard , revenus au laboratoire , nous broyâmes les pancréas ainsi rassemblés pour en extraire et en purifier une riche moisson d'isletine.  

            Nous pourrions désormais maintenir nos chiens en vie aussi longtemps que nous le désirerions .  

        On découvrit , bien sur , par la suite , qu'avec des méthodes d'extraction améliorées on pouvait retirer de l'insuline de n'importe quel pancréas animal : mouton, porc , vache .  

        Il y en aurait assez pour satisfaire tous les besoins.  

            Le 14 novembre , nous étions prêts à faire connaître la grande nouvelle au monde .  

        Devant les membres de l'association du journal de physiologie , nous donnâmes Banting et moi , lecture de notre première communication , assortie de projections qui montraient nos tableaux de courbes de sucre sanguin.  

     Mais une question capitale demeurait sans réponse : l'insuline agirait-elle chez l'homme ?  

            De l'autre côté de la rue , à l'hôpital général de Toronto, se trouvait un gamin de quatorze ans , Léonard Thompson .  

        Diabétique depuis deux ans , il ne pesait plus que 29 kilos et avait à peine la force de soulever la tête de son oreiller .  

        Selon toute vraisemblance , il ne lui restait plus que quelques semaines à vivre.  

            Nous avions pu vérifier qu'un mélange d'insuline pris par la bouche n'agissait pas . Nous décidâmes , Banting et moi de nous transformer en cobayes .  

        Je lui fis une piqûre de notre extrait , puis il m'en fit autant , pour nous assurer que le produit n'était pas trop toxique pour l'homme.  

        Le lendemain nous avions un peu mal au bras , pas davantage .

    Aussi , en janvier1922 , fit-on la première piqûre dans le petit bras décharné de l'enfant qui se mourait. Les analyses furent reprises , et ce fut de nouveau la même histoire qu'avec nos chiens .

        On assista à une chute spectaculaire du sucre sanguin , tandis que Léonard se mettait à manger normalement  . Ses joues amaigries se remplissaient , une nouvelle vie courrait dans ses muscles épuisés .  

        Léonard était sauvé  !  (il devait vivre encore treize ans , pour mourir en 1935 d'une pneumonie consécutive à un accident de mobylette ) Il était le premier des dizaines, puis des centaines , des milliers , des millions de diabétiques qui devaient recevoir de l'insuline.  

            Les honneurs commencèrent à pleuvoir sur nous. Pour le meilleur travail de recherche effectué à l'université cette année-là , on nous décerna le prix Reeve , 50 dollars , qui étaient les bienvenus .  

        La reconnaissance du parlement valut à Banting une pension annuelle de 7500 dollars . Puis on fonda un grand institut de recherches portant son nom  et , plus tard , un autre portant le mien.  

        Lorsque Banting reçut le prix Nobel  , en 1923 , il en partagea le montant avec moi .  

        Nous restâmes tous les deux à l'université , et , les années suivantes , nous nous occupâmes chacun de notre côté de nos recherches personnelles . Mais l'enthousiasme des premiers temps avait disparu.  

        Puis un jour d'hiver de février 1941 , alors que nous nous promenions dans la cour de l'université , Banting me dit :  

        -Charley , si nous recommencions à travailler ensemble ? Tu t'occuperais de la chimie , et moi ...  

        Hélas !  trois jours plus tard , Banting , devenu le major sir Frederick Banting , et qui se livrait à des travaux de médecine aéronautique , se trouvait à bord d'un bombardier bimoteur  se dirigeant vers l'Angleterre .  

        L'avion s'écrasa au cours d'une tempête de neige dans une forêt , près de Muscrave  Harbor, à Terre-Neuve . Banting , un poumon perforé par ses côtes cassées consacra ses dernières forces à penser les blessures du pilote , seul survivant .  

        Puis il s'allongea sur des branchages de sapin , dans la neige, et s'endormit de son dernier sommeil.  

        De toutes les oraisons funèbres , la plus émouvante  peut-être fut celle prononcée cinq ans plus tard , à Londres , lors d'une assemblée de l'association de diabétiques :  

            <<Sans Banting , il n'y aurait ici que des fantômes pleurant leur triste destin . >>  

     


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