Le décalage est saisissant. Patricia Mortreux voulait avoir une «vie normale, tout simplement». Pour cela, la médecine lui a fait quelque chose de peu banal : une greffe cœur-poumons. Et puis une seconde greffe de poumons, vingt-sept ans plus tard. Ce qui est extrêmement rare dans le monde. Patricia a 58 ans. Dans son bel appartement qui surplombe Montreuil, à l’est de Paris, elle se remet doucement. Elle est toute douce, un peu inquiète, son médecin vient de lui dire qu’a priori sa fatigue respiratoire devait être causée par un champignon, sans gravité, qui se traite par quelques mois d’antibiotique. Sinon tout va bien. «Quand nous avons commencé les greffes cœur-poumons en 1986, je ne pensais pas que les gens vivraient aussi longtemps», nous explique le professeur Philippe Dartevelle (lire Libération du 6 mai 2014), de l’hôpital Marie-Lannelongue, au Plessis-Robinson, dans les Hauts-de-Seine, au sud de Paris. C’est lui le grand initiateur en France de ces greffes très lourdes. Récemment, il a rassemblé dans son établissement la plupart de ces greffés.
«Calculs précis». « C’est plus qu’un miracle. Ma vie a radicalement changé», raconte Patricia, qui est née avec une hypertension artérielle pulmonaire, une maladie qui diminue fortement la capacité respiratoire et s’aggrave avec l’âge. «J’ai tout le temps été malade. J’ai été contrainte, comme ça, dès le début, d’avoir une toute petite vie.» Tout effort était alors un souci, même un simple pas devant l’autre. «Quand je prenais le métro, je faisais des calculs précis pour avoir toujours des escaliers mécaniques.»
A l’école, Patricia est toujours un peu de côté, presqu’à l’arrêt. «Je n’ai pas pu faire beaucoup d’études, mais je voulais travailler. Et c’est ce que j’ai fait, salariée dans une banque où je m’occupais du contentieux.» Inexorablement, sa maladie empire, sa fatigue aussi.
Elle a 30 ans, les greffes cœur-poumons viennent tout juste de débuter ; elles restent délicates, et il y a peu de greffons. A l’hôpital Marie-Lannelongue, le chirurgien Philippe Dartevelle est un des pionniers. «Quand je l’ai vu, la première fois, poursuit Patricia, il m’a presque fait pleurer. Il me regarde, il me dit "je ne vous connais pas, mais il faudra vous opérer". Je n’ai pas hésité, j’ai plongé. Vous savez, quand vous ne pouvez pas monter un étage, vous êtes prêt à tout pour l’espoir d’une vie nouvelle.» Le chirurgien lui promet : «Vous allez connaître quelque chose que vous n’avez jamais connu.»
Janvier 1988. Cela fait bientôt deux mois que Patricia est sur liste d’attente quand son médecin l’appelle. Il lui demande juste : «Vous êtes prête ?» C’est parti, une intervention qui dure plus de dix heures. «Un mois plus tard, raconte-t-elle, c’était impensable, j’étais à la maison, tout redevenait possible.» Elle ajoute néanmoins : «Mais c’était nouveau aussi, il fallait presque tout réapprendre : remonter les escaliers, changer mes repères. J’ai repris le travail au bout de six mois et je me suis même mise à faire du vélo et de la randonnée.» Elle insiste : «Vivre, comme tout le monde, cela devenait possible.»
A l’exception d’un traitement médicamenteux antirejet, qui reste assez lourd, aucune autre contrainte ne s’impose aux greffés. Les rendez-vous à l’hôpital s’espacent, et finissent par avoir lieu tous les quatre mois. La routine. Patricia retravaille, elle est amoureuse d’un collègue, tout va bien. «Avoir un enfant ? Avant même d’être greffé, on m’avait dit que ce ne serait pas possible, et on m’avait ligaturé les trompes.» Elle le reconnaît : «On ne m’a pas trop laissé le choix, ils ont tranché dans le vif, je me suis dit que c’était comme ça.» Il n’empêche, Patricia vit, et vit bien, près de vingt-cinq ans ainsi, devenant une des plus anciennes greffées de France.
«A un moment donné [en 2012], bizarrement, j’ai commencé à être un peu fatiguée. J’étais en vacances à Barcelone, et puis un matin j’ai été pliée en deux.» Allez savoir, mais les poumons se sont fatigués eux aussi, sa capacité respiratoire rechute. De nouveau la galère, elle doit recevoir de l’oxygène en continu. En juin 2014, nouveau bilan et résultats médiocres : «Et c’est là que l’on m’a parlé de nouveau d’une greffe, non pas cœur-poumons, mais seulement des poumons car mon cœur allait bien.» Tout se répète. L’attente, le téléphone à portée de la main. Et le 29 novembre, coup de fil. «Mon chirurgien me demande si je suis libre, j’ai compris.»
«Petit rejet». Mais ce n’est plus tout à fait la même histoire : «On m’avait prévenue que cette seconde greffe serait plus compliquée, avec un risque d’hémorragie.» L’opération se passe bien. Après ? «Ce fut ne pas aussi facile, un matin j’avais du mal à respirer, j’avais fait un petit rejet.» Deux mois plus tard, cela va mieux. Elle guette toujours, comme elle dit, ses valeurs, c’est-à-dire son taux d’oxygène dans le sang. Elle hésite à se projeter. Sa vie ? Elle lâche : «J’ai combattu pour avoir la santé.» Avant d’évoquer celle qui lui a permis de bénéficier de sa première greffe ; «Je voulais juste savoir si c’était un homme ou une femme… On m’a dit que c’était une jeune femme, un accident de voiture, elle avait 24 ans.» Pense-t-elle à elle ? «Je passe ma vie à la remercier. Et puis, j’ai toujours son cœur.» ( Source: Libération vous du 09 02 2015 . Article de Eric Favereau )
Impressionnant ce récit plein de pudeur et surtout savoir que la médecine avance grâce à des donneurs
Je souhaite à cette personne un rétablissement au mieux possible
Bonne journée