• Ma vie au CHSLD

     Il est six heures du matin. Comme chaque jour, à cette même heure, ma préposée préférée me caresse le bras et me réveille en douceur. J'ouvre le...s yeux et aperçois son beau et sincère sourire. Je suis content de la voir.

    Elle me déshabille et commence à me laver dans mon lit à la débarbouillette. Je n'ai pas de bain aujourd'hui ? Mais non, vous savez bien que ce n'est qu'une fois par semaine, me dit-elle. La désolation visible dans son regard, elle compte et me dit c'est dans quatre jours.

    Bon, on enlève la couche, monsieur. Oh, mais vous êtes pas mal souillé ce matin! Les couches sont comptées. Parfois, les préposés en prennent à d'autres patients qui en ont moins besoin que moi, mais il semble que cette nuit tout le monde a utilisé son quota à cause de la gastro. Ma préposée me lave et me crème les fesses et les parties, car j'ai des rougeurs, et m'enfile une couche propre et mon beau pyjama bleu que ma femme m'a donné.

    Ma femme? Elle est partie pour un monde meilleur, comme on dit, il y a trois ans. Elle me manque beaucoup. Nous avons passé cinq décennies ensemble. Après mon AVC, elle s'est occupée de moi durant cinq ans. Maintenant, elle est morte. Son coeur a flanché. Elle était épuisée, la pauvre. Jeune, je travaillais beaucoup, même le samedi. Elle aura donc élevé nos trois enfants pratiquement seule. Parfois, je me sens coupable de ne pas avoir été présent plus souvent.

    Je n'en parle pas souvent, mais je me demande pourquoi mes deux garçons et ma fille ne viennent pas me visiter de façon régulière. Je crois qu'ils m'en veulent pour la mort de leur maman chérie. Si elle ne m'avait pas consacré toutes ces heures, ces mois, ces années peut-être serait-elle toujours parmi nous, qui sait ?

    ***

    Ma préposée est prête pour mon lever. Elle me tourne d'un côté, puis de l'autre, afin d'installer la toile attachée avec des chaines au lève-personne, installé au plafond. Ma préposée n'a pas le choix, car elle est seule dans ma section. J'ai une jambe paralysée, et l'autre ne me porte plus depuis deux ans. Me voilà donc suspendu au-dessus de mon lit. Deux minutes plus tard, je suis assis dans mon fauteuil roulant. Ma préposée me laisse. Elle doit aider trois autres patients avant de quitter le travail à huit heures. Elle me prend la main et m'embrasse sur le front.

    L'heure du déjeuner arrive. Un homme que je ne connais pas entre dans ma chambre. Il ne se présente pas, n'a pas de sourire et me parle fort. Je ne suis pourtant pas sourd. Je regarde sa carte d'identité: c'est un préposé qui nous arrive d'une agence de placement. Encore un autre! Je ne comprends pas comment ce foutu CHSLD est organisé. Jour, soir et nuit, nous avons souvent des préposés d'agence, mais rarement les mêmes. J'ai déjà posé cette question à la directrice, que je n'ai vu que deux ou trois fois depuis que je suis ici. Elle m'a répondu que le centre a beaucoup de difficulté à retenir son personnel.

    Me voilà rendu à la cafétéria, où mon déjeuner m'attend. Mon café et mon eau sont épaissis puisque, depuis mon AVC, j'ai des problèmes à avaler. C'est comme si vous ajoutiez de la fécule de maïs à votre café chaque matin. On s'habitue, j'imagine, mais ce n'est pas encore le cas pour moi...

    ***

    Après ce succulent (!) repas, mon préposé, qui passe plus de temps sur son téléphone intelligent qu'auprès des patients, me conduit à la salle communautaire. En roulant devant la salle de bain, je lui demande s'il pourrait m'aider à aller à la toilette. «Mais vous avez une couche!», me répond-il, en continuant à me pousser vers la salle. Je tente tant bien que mal de me retenir, mais en suis incapable. Je fais dans ma couche. Me voilà donc assis pour une partie de la journée dans mes selles et dans mon urine.

    Après avoir joué au bingo et écouté les deux mêmes vieilles qui chantent chaque matin, on va dîner. Ensuite, mon pas très souriant ami me conduit à ma chambre à ma demande, car j'ai besoin de faire une sieste. Je lui explique comment fonctionne le lève-personne puisqu'il n'en a aucune idée. Une fois couché dans mon lit, je sens que j'ai des selles jusque dans mon dos.

    Je tourne d'un côté et puis de l'autre, et mon nouvel ami me lave et me crème. Honnêtement, il a bien fait cela et je l'en remercie.

    ***

    Je vous épargne le reste de la journée, car c'est toujours pareil. Toujours la même routine, jour après jour après jour.

    Pourquoi qualifie-t-on ces endroits de milieux de vie? Ma vie avant d'arriver en CHSLD ne ressemblait en rien à ces journées routinières et ennuyantes. Je me lavais jusqu'à deux fois par jour. Ici, si je suis chanceux et s'il n'y a pas manque de personnel, c'est un bain par semaine. Les autres jours c'est face, aisselles, fesses et mes parties. Je me demande si la directrice, ou encore le ministre de la Santé, se lave à la débarbouillette...

    Bon assez chialé pour aujourd'hui. Je continue ma journée en pensant à mon épouse et au temps où, comme vous, je ne me préoccupais pas du sort des vieux.

    Jean Bottari
    Auteur et préposé aux bénéficiaires.

     

    *****************************************************************

    L'auteur déplore, à l'aide du récit d'un vieillard paralysé, les conditions de vie dans les CHSLD.   Photo Olivier Pontbriand, archives La Presse.ca du 04 février 2014

     

     

    Ma vie au CHSLD

    http://www.lapresse.ca/…/…/04/01-4735623-ma-vie-au-chsld.php


  • Commentaires

    1
    Dimanche 14 Février 2016 à 11:12
    nays&

    Bonjour

    terrible et dur et si émouvant texte...hé oui...le respect des personnes est si important cependant..terrible solitude..

    je te souhaite un doux dimanche

    amicalement

    2
    Dimanche 14 Février 2016 à 13:21

    Je sais que c'est dur, je suis bénévole en maison de retraite , et le plus difficile c'est de les quitter après leur avoir offert quelques heures  et comme souvent, en rentrant chez moi, des larmes me viennent car je me dis la vie ce n'et pas cela , les politiques devraient venir faire du bénévolat au lieu de s'ennuyer dans leur cage dorée , ils devraient offrir si non du temps mais de l'argent pour le personnel qui manque tant 

     

    Bonne journée 

     

     

     

     

    3
    Dimanche 14 Février 2016 à 18:15

    Je constate que la vie en maison de retraite n'est guère plus gaie à Montréal qu'en France. Le respect de la dignité humaine est une valeur qui n'a plus beaucoup cours et si à cela il faut ajouter la solitude...Le moral doit être en berne.

    Belle  soirée à toi et à Nicole.

    4
    Mardi 16 Février 2016 à 07:42

    j'ai les larmes aux yeux 

    ça me rappelle mon papa !!

    en fin de vie !! il a été dans une maison

    il avait la maladie d'alzeimer .. ma maman était partie 3 ans avant

    uséé... on l'a épaulé et aider le plus possible et on était avec papa le plus souvent possible

    après 65 ans de mariage !!! 86 ans pour maman 90 ans (il venait de les fêter avec nous) pour pour papa

    ils me manquent tellement 

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