• L'enfant bleu (5/10)

    Dans un petit fauteuil

    Bien qu'il ne nous soit jamais venu à l'idée d'établir un tour de garde , nous nous remplacions avant que l'un ou l'autre ne soit complètement épuisé.Quand Nick se mettait à pleurer après trois quart d'heure environ de sommeil , le moins fatigué de nous deux s'éveillait d'instinct (pendant que l'autre restait enfoncé dans un sommeil de plomb) afin d'entreprendre la longue tâche consistant à faire manger l'enfant puis à le promener dans nos bras en le berçant pour le rendormir .Souvent , nous nous rendormions nous-mêmes quelques secondes après que Nick avait fermé les yeux.

    Steve n'était pas à la fête : il souffrait comme tous les aînés de la présence de l'autre qui lui avait pris sa place , et il n'avait même pas la ressource de se venger en cognant sur l'usurpateur , car il lui était formellement interdit de toucher cet être fragile comme la porcelaine . Nous faisions pourtant tout ce qui était en notre pouvoir pour qu'il ne se sente pas délaissé et nous continuions à jouer avec lui , à le mener au zoo , en promenade dans les bois .

    A l'inverse de la plupart des bébés , qui passent le majeure partie de leur vie couchés sur le ventre et qui acquièrent ainsi la vigueur qui leur permettra de lever la tête , de regarder autour d'eux et finalement de ramper , Nick restait pendant toutes ses heures de veille dans son petit fauteuil d'enfant ; il n'avait pas la force de se soulever , et sa faiblesse le clouait à son siège . Nous compensions ce handicap en le trimbalant dans son fauteuil à travers toute la maison et au jardin , le posant là où il pouvait voir danser les flammes dans la cheminée , regarder picorer les oiseaux ou tremper les mains dans une bassine d'eau . La vérité est que nous ne savions absolument pas que faire , et il n'y avait personne qui puisse nous l'apprendre . 

    Nick tenait bon . Nous nous étions habitués à son aspect : seules quelques maigres mèches avaient poussé sur les côtés rasés de son crâne ; son regard était toujours pleins d'appréhension ses lèvres toujours bleues (souvent , des femmes bien intentionnées s'approchaient de nous au marché et nous disaient : <<votre petit garçon a mangé des airelles !>>). Il ne grossissait pas et s'était à peu près stabilisé autour de 2,7 kg (1 kilo de moins que son poids de naissance . En fait , le seul changement visible était tout le contraire d'une amélioration : les bouts tout bleus de ses doigts avaient grossi et s'étaient arrondis, caractéristique des tissus mal oxygénés .

    Nous constations , toutefois, que Nick était un garçon courageux et qui luttait . Les mois qui passaient ne lui apportaient pas la vigueur , mais il était très éveillé : quand on le chatouillait ou qu'on jouait avec lui , ses yeux s'illuminaient et sa grande bouche bleue se fendait en un sourire ravi .

    Nous l'aimions et , peu à peu , nous apprîmes à oublier nos inquiétudes pour l'avenir et à goûter le plaisir d'être ensemble , comme la plupart des couples ayant des enfants. Nous nous sentions , en fait , plus heureux que bien des gens . Nous possédions une maison agréable et, bien que je ne fusse plus aussi assidu que par le passé à mon travail , je trouvais auprès de mes collègues beaucoup de compréhension et de sympathie.

    Au mois de mai , j'obtins une augmentation qui nous permit d'accepter l'invitation que nous avait faite la mère de Claire et son mari d'aller passer les vacances d'été dans leur grand appartement de Paris . Nous nous assurâmes que le voyage en avion ne pouvait être préjudiciable à Nick. Après ces longs mois où nous étions restésclaquemurés chez nous , l'appel de Paris était irrésistible.


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